Friday, August 25, 2006

Zhangzhung : l'origine du Bon ... en quête d'origines !

Souvent situé à l'ouest du Tibet autour du Mont Kailash, parfois jusqu'au Changthang, voire relié à l'Est, le Zhangzhung est aussi le théâtre du Bön et de cultes anciens. Ayant peine à extraire une réalité géographico-politique des chroniques teintées de légendes, les chercheurs tentent encore de recouper ethnologie, philologie et archéologie avec la maigre historiographie ''objective'' et les mythes foisonnants, bonpos ou ancestraux.

G. URAY raconte que "traditionnellement, les historiens bonpos maintiennent que le Bon a d'abord été introduite par gshen-rab lui-même lors de sa visite au Tibet. Ils disent aussi que les disciples de Mu-cho Idem-drug, le disciple de gshen-rab, apporta ses enseignements au Zhangzhung où des traductions de textes religieux furent exécutées d'abord en langue du Zhangzhung puis en tibétain. La tradition soutient que le Zhangzhung était constitué de 3 régions :
  • l'extérieure, sGo-ba : correspond à ce qu'on pourrait appeler le Tibet occidental, depuis le Gilgit à l'Ouest, jusqu'à Dangs-ra khyung-rdzong à l'Est, près du lac gNam-mtsho', et de Khotan au Nord à chaumai brgyad-cu rtsa-gnyis au Sud;
  • l'intérieure, Phug-pa : réputée correspondre au sTag-gzig (Tazig);
  • et l'intermédiaire, Bar-ba : rGya-mkhar bar-chod, un lieu non encore identifié.
    Tandis que nous ignorons si le Zhangzhung a jamais couvert une telle surface, nous sommes certains qu'il était un royaume indépendant sur les terres de l'actuel Tibet occidental. La capitale était Khyunglung dngul-mkhar à l'Ouest du Mont Kailash (tib. Ti-se), et qu'au 7ème siècle il y avait un roi nommé Lig-myi-rhya. L'une de ses épouses, Sad-mar-kar, était une soeur du roi Srong-btsan sgam-po (mort en 649). Le pays fut annexé au Tibet par ce roi.


D.L. SNELLGROVE précise que les annales royales mentionnent quelques révoltes du Zhangzhung entre cette alliance matrimoniale et l'assimilation définitive au Grand Tibet. Dans l’organisation du Tibet en 5 districts et zones militaires parachevée, après la mort de Srong-brtsan sgam-po, par son influent ministre mGar sï'onq-rtsan Yul-zung (mort en 667), le Zhangzhung n'était pas l'un des 5 districts, mais une zone militaire, divisée en Haut- et Bas- Zhangzhung. Il embrassait ainsi toute la partie Ouest et Nord-ouest du Tibet, sans doute jusqu'à la chaîne des Kun-lun, sans que l'on puisse juger de son véritable contrôle sur ces lointaines frontières.
Quellles qu'en aient été les limites effectives, l'ancien Zhangzhung était assurément frontalier avec le Nord-Ouest de l'Inde et des routes de montagne qui partaient de là vers Khotan et toute l'étendue désertique du Takla Makan. Le Zhangzhung tenait donc un rôle stratégique dans la conquête (660- 680) des oasis de Kashgar, Khotan et Kucha, par le ministre mGar relayé par son fils. Au cours de ces campagnes, le Tibet occupait le Gilgit (Petit Bolor) et le Baltistan (Grand Bolor). Dans cette direction aucune route nouvelle n'avait été ajoutée à celle empruntée par le pèlerin chinois Hiuan-tsong (vers 650) et l'on peut croire à juste titre que le royaume du Zhang-zhung avait maintenu des relations, au moins commerciales, avec leurs voisins de l'Ouest à travers les montagnes, bien avant que les Tibétains n'occupent leur pays. Seuls des gens du Zhang-zhung ont pu fournir porteurs et guides commis d'office à l'armée tibétaine pour ses conquêtes occidentales.


Plus tard, après son annexion et malgré sa progressive assimilation au Tibet, le Zhangzhung a continué à jouer ce rôle de porte ouverte sur le Tazig (Iran), Bru-sha (Gilgit), Li (Khotan) et autres pays d'Asie centrale. Il a largement contribué, reprend G. URAY, au développement culturel (et non militaire, cette fois) du jeune Tibet. Simultanément, la langue du Zhangzhung, sa culture, et sans doute sa religion, ont été intégrées à celles du Tibet. La déité centrale vénerée par le peuple du Zhangzhung était le sku hla (= corps divin) Ge-khod résidant au Mont Ti-se. Le maître bonpo le plus réputé, Dran-pa nam-mkha' est censé être né à Khyung-lung dngul-mkhar au 8ème siècle.

Jusju'à récemment, des tibétologues étaient induits en erreur par les historiens dGe-lugs-pa , identifiant geographiquement le Gu-ge au Zhang-zhung, alors qu'il n'en était qu'une partie ou un petit état rattachées. Sans doute la confusion est-elle liée au fait qu'une réunification des myriarchies du Tibet de l'Ouest conquises vers 930 par l'arrière-petit-fils de gLang-dar-ma, a éte suivie du découpage de ce royaume du mNga'-ris en 3 districts entre les 3 fils, puis, au degré suivant, comme il n'y avait que 2 descendants, l'un d'eux, le futur moine Ye-shes 'Od, réunit sous son règne (975) Guge et Pu-hrangs tandis que l'autre héritait du Mar-yul (Ladakh) et assura seul ensuite (son frère, devenu moine, lui ayant légué ses pouvoirs) la descendance de la dynastie dite ''des rois de Gu-Ge''.


Parallèlement à ces aménagements politiques successifs, la région Ouest, d'affinité bonpo traditionnement, parvient à faire renaître de ses cendres le bouddhisme tibétain. R. Vitali , enchaîne qu'au temps de Ngag.dbang grags.pa, disciple de Tsong.kha.pa (au début du 15ème siècle), Gu.ge connut une troisièmes éclosion rayonnante de la culture bouddhiste. La première que connurent les terres du sTod, incorporées de force au royaume du Yar.lung, une fois pour toute, au milieu du 7ème siècle siècle, fut en fait la seconde diffusion du bouddhisme au Tibet : le bstan.pa phyi.dar, suite à la fondation de la dynastie du mNgaLris skor.gsum (''les 3 districts de Ngari") par sKyid.lde Nyi.ma.mgon au 10ème siècle. La deuxième renaissance coïncidait avec l'apogée des bKa.'brgyud.pa-s (fin 12ème -début 13ème siècle.), dont les érudits étaient surtout actifs dans les régions de Ti.se et Pu-hang.

Comme les chercheurs sans doute, nous avons été interpelés par le fait que les Bonpos situent le berceau de leurs enseignements au royaume de Zhangzhung. Est-ce là pure réalité ou simple tentative fédératrice? Pour le savoir, il faut commencer par déterminer ce que recouvre le Bon, puis remonter à sa source en étudiant les indices parvenus jusqu'à nous : chroniques anciennes, indigènes et si possible des pays de contact, récits de voyageurs, chroniques tardives plus partiales (bonpos / bouddhistes) mythes et légendes oraux ou écrits, observations ou lectures comparées de : rituels, de coutumes, généalogies et migrations des clans, recherches étymologiques et sémantiques, analyse des styles artistiques, archéologie... Forcément, à travers l'étude des différentes influences qui sont entrées dans la composition des croyances Bon, nous approcherons les peuples qui s'y sont investis, les ont véhiculées. Évidemment, nous ne pourrons pas en déduire que ces peuples aient tous habités le pays d'origine de cette religion, ni simultanément dans l'espace, ni successivement dans le temps. Or les recherches archéologiques menées au Zhangzhung sont récentes et la datation des vestiges trop imprécise pour qu'on puisse les attribuer à un peuple ou une succession de peuples. Il faut donc trouver un autre facteur discriminant (qui sera bien sûr confronté à d'autres). Par défaut, le plus adéquat semble être la langue. Après avoir évoqué l'état des recherches sur l'origine du Bon, les contacts avec des peuples limitrophes, et la langue du Zhangzhung, nous nous interrogerons plus personnellement sur son étendue géographique.

La longue histoire du Zhangzhung et du Bon

A. Une terminologie problématique G. URAY explique que le verbe tibétain bon signifie ''implorer, supplier, murmurer, psalmodier, invoquer, appeler et que le terme bon-no (''marmonneur") désignait à l'origine une sorte de chaman. D.L. SNELLGROVE nous informe que le terme tibétain "bon" était initialement une traduction de l'équivalent zhangzhung "gyer", mais "gyer" a aussi un sens en tibétain : celui de ''chant''. Dans certains documents de Dunhuang et des Bonpo, le terme bon est souvent employé dans un sens commun : "exprimer". Mais il regrette, tout comme R.A. STEIN de ne pouvoir en donner une définition générale et systématique, eu égard à la variabilité des emplois en fonction du contexte. A.CHAYET précise qu'avant 1027, le terme "bon" désignait un ministre du culte dont on ne sait pratiquement rien. A partir du 13-14ème siècle, le terme a été assigné à la religion organisée du Bon.

Concernant ces fameux ministres du culte, ou plus précisément la relation entre le Bon et le culte funéraire royal, A. MAC DONALD propose que le Bon était seulement une composante d'une "religion royale" systématisée (gcug), délibérément embrouillée par les historiens bouddhistes tibétains. Rejetant cette thèse, R.A. STEIN analyse le contexte des occurrences du mot ''gcud' dans les sources anciennes, mettant en exergue, entre autres tenants de l'époque, l'influence de la cosmologie chinoise sur les tournures religieuses tibétaines. Allant au bout de sa pensée, R.A.STEIN analyse ailleurs les références de Dunhuang aux épithètes "bon" et "gcen", il démontre une continuité entre les textes "bon" de la période ancienne et ceux du Bon ''systématisé'' tardif. Il se range ainsi aux côtés de S.G. KARMAY et N.N. DAGKAR qui démontre la continuité entre le Bon d'avant, d'après et pendant les 10-11ème siècles, phases qu'il prétend avec D. Martin: modelées par la littérature polémique des Bouddhistes.

N.N. DAGKAR s'oppose cependant à R.A. STEIN, dans une deuxième assertion où il identifie le Bon à la religion pré-bouddhiste du Tibet. Tandis que R.A. STEIN continue d'isoler le Bon de la religion pré-bouddhiste du Tibet qu'il qualifie de ''religion sans nom'' (pratique populaire et localisée), tout comme G. TUCCI distinguait le Bon de la religion ''populaire'' au Tibet. Toutefois, la nature hétérogène et non chronologique lesdites pratiques populaires, trahit la difficile adéquation des éléments-clés de la foi tibétaine (non le moins ceux liés aux montagnes) avec de telles catégories, même si les Tibétains séparent aussi "lha-chos", "la religion des dieux'' (Bon, et/ou Bouddhisme, de "mi-chos", ''la religion des hommes'' (populaire ou sans nom). Une alternative à ces concepts, quoiqu'un peu déroutante et plurivoque, est la notion de ''pratiques chamaniques'', selon la modélisation théorique de la société tibétaine par G. SAMUEL .

Enfin, R.A. STEIN souligne, comme P. KVAERNE, la plurivalence des termes anciens, qui requiert encore une analyse approfondie.
Ces problèmes de terminologie ne sont pas anodins puisqu'ils posent notamment le problème de l'identification du Bon en tant que religion face au bouddhisme dans la controverse de Samye et la ...

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